Rachat par canal+ de deux chaînes de la TNT, probable impossibilité de voir naître les chaînes "bonus", condamnation par l'Autorité de la concurrence des conditions du rachat de TPS par Canal+ : le paysage audiovisuel est en plein mouvement. Michel Boyon président du CSA, qui vient de publier un rapport sur l'avenir de la TNT, a accepté de répondre aux questions du Club Parlementaire du Numérique. Il nous a reçu longuement dans son bureau du CSA. Dans cette première partie de l'entretien, il revient pour nous sur son rapport ainsi que sur l'actualité récente de l'audiovisuel français.
Pourquoi avoir rédigé un rapport sur l'avenir de la TNT ? Pourquoi à titre personnel et pas au nom du CSA ?
Au mois de mars, j’ai dit à plusieurs reprises que l’année 2011 était propice à une réflexion sur l’avenir de la TNT, lancée il y a six ans. Fin mai, le Premier ministre m’a demandé de conduire cette mission. Il me l’a confiée à titre personnel, notamment pour empêcher que le rapport ne soit utilisé pour mettre en cause demain l’impartialité des décisions du collège du CSA lors des appels à candidatures. Dans mon rapport, je ne me prononce pas sur telle ou telle chaîne en particulier. Et puis, il y a une raison plus personnelle : j’avais écrit, en 2002, un premier rapport, à la suite duquel le Gouvernement a donné le feu vert au lancement de la TNT.
Quelle est votre analyse de la situation de la TNT ?
La TNT se porte bien. Le passage au tout numérique se passe dans les régions de manière bien meilleure que nous ne le pensions à l’origine. Les anomalies ont été peu nombreuses et de courte durée. Les Français adhèrent à cette mutation. Les nouvelles chaînes de la TNT ont réussi à conquérir plus de 23% de l’audience en 5 ans, alors que les foyers ne se sont équipés que progressivement : c’est remarquable. Cela ne veut pas dire qu’il y ait un désintérêt pour les anciennes chaînes. Cela veut dire que les téléspectateurs avaient besoin d’une offre de programmes plus diversifiée. Il y a maintenant un choix plus ouvert, donc plus de liberté. C’est la TNT qui structure l’offre de programmes. Désormais, ce qui est important pour une chaîne, c’est d’être sur la TNT, ce qui lui donne de la visibilité et de la notoriété. La TNT est l’élément structurant de notre offre télévisuelle.
Quelle est la situation des chaînes historiques ?
Il y a un effet mécanique que les opposants à la TNT avaient bien perçu en 2002-2003 : l’arrivée de nouvelles chaînes gratuites a entraîné une fragmentation des audiences. C’était inévitable : l’objectif était de donner plus de choix aux téléspectateurs. La France était le seul pays européen où une chaîne recueillait plus de 40% de l’audience.
« Je pense qu’il vaudrait mieux appliquer la norme DVB-T2 à tous les nouveaux multiplex »
En termes de part de marché, l’écoute de la télévision en France ne fait que s’aligner sur les autres pays européens. La baisse d’audience des grandes chaînes ne les empêche pas d’investir dans la production. Je n’ai donc pas d’inquiétude pour elles.
Vous préconisez des adaptations technologiques concernant la norme de compression (passage au MEPG 4) et de diffusion (évolution vers le DVB-T2) : comprenez-vous la crainte des consommateurs qui devront acheter à nouveau un équipement ?
Oui, j’avais bien perçu ces réactions durant ma mission. Je voudrais vous dire dans quel esprit j’ai fait ces propositions. J’ai écrit ce que je pensais, ce dont j’étais convaincu. J’ai également voulu mettre nos décideurs publics et privés face à leurs responsabilités. Sur le fond, j’ai trois objectifs.
Le premier est de garantir la pérennité des fréquences qui seront nécessaires au développement de l’audiovisuel. Il y a une pression sur le stock des fréquences compte tenu du développement de l’Internet mobile. Je veux que la télévision puisse toujours disposer des fréquences dont elle aura besoin. Mon deuxième objectif est un enrichissement de l’offre de la TNT par l’évolution vers la haute définition et le lancement de nouvelles chaînes. Troisième objectif : consolider le secteur audiovisuel, assez remué ces dernières années. Ces trois objectifs sont cohérents et se matérialisent dans des propositions concernant les normes de compression et de diffusion. Ces choix technologiques ne dépendent pas du CSA, même s’il est consulté, mais du Gouvernement.
« Le fait qu’un même groupe soit à la fois sur la TNT payante et la TNT gratuite peut lui donner un avantage compétitif »
C’est à lui de dire quand il faut passer à la nouvelle norme de diffusion. De toute façon, on y passera un jour. Tous mes interlocuteurs, même ceux opposés actuellement au DVB-T2, savent très bien que cette évolution est inéluctable. Le débat est de savoir si on applique la nouvelle norme aux appels à candidatures qui vont être prochainement lancés par le CSA. Je pense qu’il vaudrait mieux appliquer le DVB-T2 à tous les nouveaux multiplex. Si le Gouvernement décidait de retarder l’entrée en service de la nouvelle norme, je ne me sentirais pas désavoué ! J’ai voulu tenir un langage de vérité.
Que vous inspire l’avis de l’Autorité de la concurrence condamnant les conditions du rachat par Canal+ de TPS et TPS Star ?
Je ne suis pas surpris par cette décision. Nous avons été saisis par l’Autorité de la concurrence sur la question. Nous avons fait part, en mai 2010, de notre avis en constatant que tous les engagements n’ont pas été tenus par Canal+. L’appauvrissement de l’offre de TPS Star en est la meilleure illustration. La décision me paraît profondément justifiée. Canal+ va devoir réengager un processus devant l’Autorité de la concurrence et devant le CSA. Les deux institutions demanderont des engagements sans doute plus contraignants. Nous serons également plus attentifs au respect de ces engagements.
Que pense le CSA du rachat par Canal+ de deux chaînes de la TNT ?
A ce stade, nous ne sommes pas saisis car les accords entre les deux groupes ne sont pas encore formalisés. Nous serons saisis vraisemblablement à la fin du mois d’octobre. On voit tout de suite les questions qui se posent vis-à-vis du droit de la concurrence. Le fait qu’un même groupe soit à la fois sur la TNT payante et la TNT gratuite peut lui donner un avantage compétitif, dans l’achat des droits pour un film par exemple.
« Depuis la mise en demeure de la Commission, tout le monde comprend bien les problèmes juridiques qui se posent »
Ce regroupement sera donc conditionné et encadré. Nous en avons l’expérience puisqu’il y a deux ans, nous avions été saisis du regroupement de TF1, TMC et NT1. La problématique était différente, mais il fallait déjà tirer les conséquences du fait que plusieurs chaînes de la TNT gratuite appartenaient au même opérateur. Le cas de figure est différent puisque le nouveau regroupement concerne à la fois des chaînes gratuites et payantes.
Vous ont-ils surpris par cette opération, la veille de la publication de votre rapport ?
Le Groupe Canal a dû faire le même raisonnement que d’autres et bien se rendre compte que les canaux compensatoires avaient du plomb dans l’aile. Soyons honnêtes : depuis la mise en demeure de la Commission, tout le monde comprend bien les problèmes juridiques qui se posent. Quant à la date à laquelle l’opération a été annoncée, elle résultait des volontés de l’acheteur et du vendeur. J’avais rendez-vous avec le Premier ministre le 9 septembre, rencontre fixée depuis plus de dix jours. J’ai appris le projet le 8 dans la matinée. Personne n’avait pensé à cette hypothèse. Je n’avais cependant aucun mot à changer dans mon rapport car il ne concerne aucune chaîne en particulier.
Propos recueillis par Pierre Laffon